Gaston Leroux (1868-1927) : Le parfum de la dame en noir

Le parfum de la dame en noir est la suite du Mystère de la chambre jaune.
Joseph Rouletabille est hanté par une femme qui venait le visiter, enfant, au pensionnat et dont il conserve le souvenir obsédant du parfum. Grâce à Rouletabille, l’astucieux reporter qui sut élucider le terrible
Mystère de la Chambre Jaune, Mathilde Stangerson devrait enfin connaître le bonheur auprès de l’homme qu’elle aime, Robert Darzac. Mais celui que l’on croyait mort, Larsan, le grand criminel et premier époux de Mathilde, resurgit.
Les jeunes époux interrompent leur voyage de noces pour se réfugier au château des Rochers rouges (appelé Fort d’Hercule), en compagnie du Professeur Stangerson et de leurs amis les Rance.
Rouletabille, toujours aidé de son fidèle Sainclair, va mener l’enquête pour découvrir comment Larsan est parvenu à s’introduire dans le château fort.

[…] Mais écoutons Arthur Rance qui vient de nous rejoindre tous trois, dans notre compartiment. Arthur Rance, naturellement, ne sait rien de l’histoire de Bourg, rien de la réapparition de Larsan dans le train, et il vient nous apprendre une terrifiante nouvelle. Tout de même, si nous avons gardé, quelque espoir d’avoir perdu Larsan sur la ligne de Culoz, il va falloir y renoncer. Arthur Rance, lui aussi, vient de se trouver en face de Larsan ! Et il est venu nous avertir, avant notre arrivée là-bas, pour que nous puissions nous concerter sur la conduite à tenir.
« Nous venions de vous conduire à la gare, rapporte Rance à Darzac. Le train parti, votre femme, M. Stangerson et moi étions descendus, en nous promenant, jusqu’à la jetée-promenade de Menton. M. Stangerson donnait le bras à Mme Darzac. Il lui parlait. Moi, je me trouvais à la droite de M. Stangerson qui, par conséquent, se tenait au milieu de nous. Tout à coup, comme nous nous arrêtions, à la sortie du jardin public, pour laisser passer un tramway, je me heurtai à un individu qui me dit: «Pardon, monsieur! » et je tressaillis aussitôt, car j’avais entendu cette voix-là; je levai la tête: C’était Larsan! C’était la voix de la cour d’assises ! Il nous fixait tous les trois avec ses yeux calmes. Je ne sais point comment je pus retenir l’exclamation prête à jaillir de mes lèvres! Le nom du misérable! Comment je ne m’écriai point: «Larsan!…» J’entraînai rapidement M. Stangerson et sa fille qui, eux, n’avaient rien vu; je leur fis faire le tour du kiosque de la musique, et les conduisis à une station de voitures. Sur le trottoir, debout, devant la station, je retrouvai Larsan. Je ne sais pas, je ne sais vraiment pas comment M. Stangerson et sa fille ne l’ont pas vu!…

Menton 01L’ancien kiosque de Menton

– Vous en êtes sûr? interrogea anxieusement Robert Darzac.
– Absolument sûr! … Je feignis un léger malaise; nous montâmes en voiture et je dis au cocher de pousser son cheval. L’homme était toujours debout sur le trottoir nous fixant de son regard glacé, quand nous nous mîmes en route.
– Et vous êtes sûr que ma femme ne l’a pas vu? redemanda Darzac, de plus en plus agité.
– Oh! certain, vous dis-je…
– Mon Dieu ! interrompit Rouletabille, si vous pensez, Monsieur Darzac, que vous puissiez abuser longtemps votre femme sur la réalité de la réapparition de Larsan, vous vous faites de bien grandes illusions.
– Cependant, répliqua Darzac, dès la fin de notre voyage, l’idée d’une hallucination avait fait de grands progrès dans son esprit et en arrivant à Garavan, elle me paraissait presque calme.
– En arrivant à Garavan? fit Rouletabille, voilà, mon cher Monsieur Darzac, la dépêche que votre femme m’envoyait.»
Et le reporter lui tendit le télégramme où il n’y avait que ces deux mots: «Au secours! »
Sur quoi, ce pauvre M. Darzac parut encore plus effondré.

« Elle va redevenir folle! » dit-il, en secouant lamentablement la tête.

C’est ce que nous redoutions tous, et, chose singulière, quand nous arrivâmes enfin en gare de Menton-Garavan, et que nous y trouvâmes M. Stangerson et Mme Darzac, qui étaient sortis malgré la promesse formelle que le professeur avait faite à Arthur Rance, de rester avec sa fille aux Rochers Rouges jusqu’à son retour, pour des raisons qu’il devait lui dire plus tard et qu’il n’avait pas encore eu le temps d’inventer, c’est avec une phrase qui n’était que l’écho de notre terreur que Mme Darzac accueillit Joseph Rouletabille. Aussitôt qu’elle eut aperçu le jeune homme, elle courut à lui, et nous eûmes cette impression qu’elle se contraignait pour ne point, devant nous tous, le serrer dans ses bras. Je vis qu’elle s’accrochait à lui comme un naufragé s’agrippe à la main qui peut seule le sauver de l’abîme. Et je l’entendis qui murmurait: «Je sens que je redeviens folle !» Quant à Rouletabille, je l’avais vu quelquefois aussi pâle, mais jamais d’apparence aussi froide.
Sur quoi, ce pauvre M. Darzac parut encore plus effondré. […]

LEROUX, Gaston, Le parfum de la dame en noir, Paris, Livre de Poche, 1960, 448 p. (ISBN : 2 – 253 –00918 – 0)