Alain Dubos (1943-…) : Constance et la ville d’hiver

Quand Rémi Darrast revient d’Indochine en 1900 après treize ans d’absence, il ne pense qu’à retrouver sa fille Constance qu’il a pourtant abandonnée toute petite aux soins de sa famille. Mais c’est une jeune fille repliée sur elle-même, sauvage et solitaire, qu’il découvre. Elle porte en elle la douleur de l’abandon. Sa mère est morte, son père est parti, son oncle Etienne, le seul à l’avoir comprise, a disparu en mer, un jour de tempête. Alors, elle fait de la ‘petite mer’ d’Arcachon, de ses sables, de ses oiseaux, de son peuple de parqueurs d’huîtres, l’univers où gîte le secret absolu de son chagrin. Rémi Darrast va devoir renouer le fil d’existences longtemps mises entre parenthèses.

[…] L’enfant se haussait sur la pointe des pieds pour apercevoir les merveilles entassées à hauteur de son menton, à l’étal du vieux marchand ambulant. Elle avait deux ans, son père allait quitter la France sans l’emmener avec lui. Rémi sentit une boule durcir au fond de sa gorge ; il devrait s’habituer à cette sensation presque douloureuse.
— Elle a l’âge d’aimer encore ça comme un tout ¬petit, répondit-il.
Il serra le poing autour des bonbons, remercia, se détourna vivement. Tanot savait à peu près tout sur tout le monde. Riches ou pauvres, ouvriers de l’huître ou banquiers, curistes de passage pour une saison ou pêcheurs au large, les habitants d’Arcachon passaient tous par l’égalité fort républicaine de son potinage.
Tandis qu’il s’engageait dans l’allée Faust, Rémi sentit son regard insistant. Puis il l’entendit lancer son « Ah, les gâteaux ! Ah, les sucres d’orge ! » rameuteur d’enfants. Eût-il désiré rentrer chez lui dans la discrétion, il eût d’avance perdu son pari.
Le visage de son frère lui tenait compagnie. La silhouette élancée d’Etienne Darrast lui apparaissait aux portes des maisons, près du kiosque à musique du casino, entre les grands arbres de la Ville d’Hiver. Etienne le considérait comme à l’habitude de son air intrigué, faussement sévère. Quelle bêtise avait encore faite son cadet ? Sur quel banc de sable le gouyat avait-il passé la nuit, pris par la marée montante ? Comment annoncerait-on aux parents la catastrophe pérenne de ses compositions de latin ?
Plein de la voix de son aîné, de ses soupirs de découragement, de sa fraternelle complicité, Rémi remonta l’allée Brémontier, croisa la promenade des Anglais, dont le seul nom donnait de l’urticaire à son oncle Albert.[…]

le kiosque d’Arcachon

[…] — C’est fête nationale, samedi prochain, lui dit-il.
— Je serai dans les Landes.
Elle ne pourrait pas se goinfrer de bugnes, au 14 Juillet de cette année-là. Il n’y avait pas que ces gâteaux, d’ailleurs. On faisait des orgies d’huîtres, de coques, de petites crevettes des chenaux, de barbe à Papa et de caramels. Jeannot devait penser à autre chose. Après le concert au kiosque du Grand Hôtel, il y aurait le bal.
Il eut l’air déçu..
— C’est loin, les Landes. Ça te fait donc tellement plaisir d’y aller ?
Pas du tout. C’est mon père qui le veut..[…]

DUBOS, Alain, Constance et la ville d’hiver, Paris, Presses de la Cité, Pocket, 2007, 407 p. (ISBN 978 –2-266-18119-8)