La chienne de Naha emprunte son titre à un conte issu de la tradition orale de l’ethnie des Triqui au Mexique. Prenant appui sur ce conte qui met en scène le premier homme et la première femme, la narratrice déroule le récit d’un voyage, d’une quête d’elle-même, depuis Mexico jusqu’aux confins de l’Etat d’Oaxaca.
La narratrice vient de rompre avec Gilles et, indécise, se rend pourtant au Mexique. Elle répond à l’appel de Maria, sa sœur aînée adoptive, car c’est bientôt là-bas la Fête des Morts. Une manière de se racheter peut-être de ne s’être pas rendue cinq ans plus tôt à l’enterrement de Lucia, la bonne espagnole de la famille, mère de Maria – et sa deuxième mère à elle. Elle s’y rend munie d’un enregistreur où capter les sons, les voix, les bruits de la vie de cette sorte de voyage de deuil, et munie de son cahier d’écriture où doit s’ébaucher un livre sur la mort.
[…] Je descends n’importe où, je descends où quelque chose m’appelle. Sur une place ombragée, autour d’un kiosque, dansent des couples d’âge mûr sous la direction d’un maître aux cheveux argentés. La musique est romantique, le kiosque orné de fresques naïves où des sirènes à la chevelure serpentine jouent de la trompette pour des hommes élégants en veston et chapeau. Plutôt que de prendre une photo, je mets en marche l’enregistreur. Le maître de danse donne de la voix et les couples suivent à pas économes et ardents. […]
[…] Cet exercice d’exégèse comparée m’occupe tandis que María me précède dans les rues d’Oaxaca jusqu’au Zócalo, ombragé de grands arbres, avec l’église monumentale d’un côté, un palais à colonnade de l’autre, quelques restaurants, le kiosque à musique au centre, des bancs, des cireurs de chaussures, des fillettes indiennes vendant des animaux de bois sculpté aux terrasses, et des touristes américains, la caméra dégainée, quand ils ne marchandent pas, jusqu’à l’obscénité, l’article ravissant qui ne coûte presque rien. […]
[…] Le premier soir sans elle, je me dirige vers le Zócalo dans l’espoir de la croiser. Le ciel est plus clair que les grands arbres, la fin du jour se signale par un obscurcissement de ce qui est proche, le lointain demeurant lumineux. Sur l’élégant kiosque Belle Époque, un orchestre joue avec entrain et fausses notes. Je reconnais une valse de Strauss, le rythme à trois temps, l’équilibre surgissant du déséquilibre, la reprise infinie du motif : l’homme, la femme et la distance entre eux, un corps, un autre corps et leur rêve. Des gens sont assis, comme moi, sur un des bancs de pierre. […]
A Oaxaca, sur la Plaza de la Constitución (ou Zócalo), se trouve un kiosque octogonal construit en 1901.