Le roman est la longue lettre d’un homme qui, sentant la mort approcher, couche sur le papier les sentiments qui l’ont animé tout au long de sa vie. Pour se venger de sa famille, Louis a décidé de les déshériter. Sa lettre est une sorte de confession qui lui permet de justifier sa décision. Il abhorre cette famille : une engeance de vipères, une meute soudée contre lui, aux basques de sa fortune. Mais le nœud de vipères est tout autant au fond des entrailles de ce vieillard prisonnier de son avarice et de sa haine.
L’extrait ci-dessous raconte la première rencontre de Louis avec sa femme Isabelle à Bagnères-de-Luchon.
Nous sommes en 1883, à Bagnères-de-Luchon. […]
Te rappelles-tu cette nuit, sur un banc (dans l’allée en lacets qui montait derrière les Thermes) ? Soudain, sans cause apparente, tu éclatas en sanglots. Je me rappelle l’odeur de tes joues mouillées, l’odeur de ce chagrin inconnu. Je croyais aux larmes de l’amour heureux. Ma jeunesse ne savait pas interpréter ces râles, ces suffocations. Il est vrai que tu me disais : » Ce n’est rien, c’est d’être auprès de vous… »
[…]
Et moi, sur ce banc, dans les lacets de Superbagnères, j’appuyais ma figure entre ton épaule et ton cou, je respirais cette petite fille en larmes. L’humide et tiède nuit pyrénéenne, qui sentait les herbages mouillés et la menthe, avait pris aussi de ton odeur. Sur la place des Thermes, que nous dominions, les feuilles des tilleuls, autour du kiosque à musique, étaient éclairées par les réverbères. Un vieil Anglais de l’hôtel attrapait, avec un long filet, les papillons de nuit qu’ils attiraient. Tu me disais : « Prêtez-moi votre mouchoir… » Je t’essuyai les yeux et cachai ce mouchoir entre ma chemise et ma poitrine…
En 1883, le kiosque actuel n’avait pas été construit.
François Mauriac écrivant son roman en 1932 ne pouvait connaître que le kiosque ci-dessus, installé Place des Quinconces,
dans le parc thermal.
Mauriac, François, Le Nœud de vipères, Éditions Bernard Grasset, Paris, 1932