Une enquête aussi passionnante que macabre conduit Alexandra Cooper, adjointe au procureur de Manhattan en charge des crimes sexuels, dans les bas-fonds d’un New York peu connu, sur les traces d’un tueur qui, comme elle, semble fasciné par la vie et l’œuvre de Poe.
[…] Quittant le jardin botanique à onze heures et demie, nous sommes partis vers l’intersection du Grand Concourse et de Kingsbridge Road. Il ne restait plus rien des fermes du XVIIIe siècle, ni des élégantes bâtisses qui les avaient remplacées au début du XXe. Il n’y avait plus à présent que des immeubles vétustes, aux portes et aux fenêtres couvertes de ces volets métalliques, à claire-voie, qui ornent tant de façades du tiers-monde. À mesure qu’elles s’élevaient dans la société, les vagues successives d’immigrants qui avaient occupé le quartier l’avaient quitté pour des banlieues plus chic. Aujourd’hui, les enseignes étaient rédigées en espagnol – PEPITO’S PAYAYAS OU MIGUEL’S FRITAS -, sous un panneau géant où Jennifer Lopez, avec un sourire radieux, faisait de la publicité pour une marque de jeans.
En retrait du Concourse, une petite oasis – de la taille de deux pâtés de maisons – était cernée par une clôture métallique. Au bout de celle-ci se trouvait une rotonde et un joli kiosque à musique, au toit de cuivre soutenu par huit colonnes hautes. Puis, à proximité, un terrain de jeux, avec toboggans et quelques structures pour grimpeurs en herbe, peints d’un rouge vermillon qui ressortait vivement sur les bâtiments gris derrière.
Nous avons laissé la voiture devant un parcmètre, près du portail. Reconnaissable à la feuille d’érable qui lui sert de logo, une plaque de la Direction des parcs et jardins indiquait à l’entrée : POE PARK, en grandes lettres, ainsi qu’une reproduction de la signature de l’auteur, agrandie plusieurs fois.[…]
[…] La porte s’est ouverte sur une jeune femme qui nous a fait signe.
– Bienvenue au cottage d’Edgar Poe ! a-t-elle lancé sur le porche.
Elle a descendu les quelques marches pour se présenter :
– Je m’appelle Kathleen Bailey. Venez, suivez-moi.
On entrait directement dans la cuisine, juste assez grande pour contenir un fourneau à bois, un buffet une vieille horloge murale, des chaises et une table sur laquelle le couvert était mis – comme si, d’une minute à l’autre, le poète allait nous rejoindre pour déjeuner.
J’ai déroulé la longue écharpe que j’avais autour du cou, et j’ai ouvert la fermeture Éclair de mon anorak.
– Oui, mettez-vous à l’aise, nous a invités notre hôtesse, avant d’entamer son récit. Ceci est la maison que Poe a louée en 1846, dans l’espoir que l’état de santé de son épouse, Virginia, s’y améliore. Elle était à l’époque située à la campagne, à un peu plus de vingt kilomètres de New York, dans le petit village de Fordham. Il n’y avait autour d’ici que des pommeraies.
– La maison était construite à cet endroit même? a demandé Mike.
>- Non, elle était de l’autre côté de l’avenue, à proximité du kiosque à musique, lui a expliqué Kathleen Bailey. Teddy Roosevelt, qui a aussi été préfet de New York, a pris en 1913 la décision de conserver cette maison et on l’a installée sur ce terrain. Poe y a vécu trois ans, et il allait y retourner lorsqu’il a trouvé la mort à Baltimore.[…]
[…] J’ai fait quelques pas le long du sentier, je me suis postée au portail, d’où je pouvais surveiller la maison, observer ce qui se passait et même intervenir, si mes compagnons avaient besoin de moi.
Mercer approchait du terrain de jeux quand j’ai soudain aperçu le grand gamin qui quittait les balançoires en courant, contournait le kiosque à toute vitesse et traversait Kingsbridge Road malgré la circulation.
– Rattrapez-le ! criait la même voix que tout l’heure.
Me hissant sur la pointe des pieds, j’ai essayé de voir si Mike et Mercer avaient atteint la petite foule, tout au bout du parc. Je n’ai pas eu le temps de me retourner quand j’ai perçu un bruit derrière moi. J’ai senti un coup violent sur la nuque – et ensuite, le noir complet.[…]
[…]- Il faut que je repose la question? Qu’est-ce qui s’est passé ?
Mike et Mercer se sont regardés, puis Mercer a parlé le premier.
– Les flics du Bronx pensent à une plaisanterie stupide.
– Une plaisanterie stupide? Ils sont fous? Évidemment, ils ne lisent pas Edgar Poe avant de se coucher.
– Laisse-moi aller jusqu’au bout, m’a dit Mercer avant de relever la barrière de sécurité et de s’asseoir sur le bord du lit. Il y a eu une agression à l’autre extrémité du parc, dans le terrain de jeux, près du kiosque à musique. Une gamine de quinze ans surveillait son petit frère, quand elle s’est fait tabasser par des gars du quartier. Ils l’ont fichue par terre, lui ont piqué son portefeuille, en lui mettant les mains là où il ne fallait pas.
– J’ai entendu des cris, je m’en souviens.[…]
FAIRSTEIN, Linda, Mausolée, roman traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Dorlan, Pocket, 2009, 448 p. (ISBN : 978–2-266–18954–5)
Titre original : Entombed, Scribner, New York, 2005, (ISBN –10 : 0743266811)
Note: Il y a bien un kiosque à musique dans le Poe Park situé à Grand Concourse & East Kingsbridge Road dans le Bronx (New York).