Patrick Virelles (1939-2010) : Peau de Vélin

Peau de Vélin est l’histoire d’un bibliophile ronchon, Edmond Limbourg, qui collectionne les œuvres les plus rares. Sa vie est rythmée par les achats de livres précieux. Cette existence studieuse, mais coincée, est un jour perturbée par l’apparition de Mélodie Désespérance, Antillaise au grand cœur et ex-danseuse des Folies Bergère. Son univers est également perturbé avec l’arrivée de son trépidant neveu Alexandre, qui lui n’a qu’une passion : le jeu.
L’extrait-ci dessous nous fait assister à la rencontre de ses parents: Léopold Limbourg et Omphale dans la ville de Chimay.

Chimay 03l’ancien kiosque de Chimay

[…] Profitant de ce que mère Thérèse avait le nez moins pointilleux que sa mère, Omphale, depuis son arrivée en Belgique, s’inondait de parfums. Ce jour-là, elle était auréolée de Quelques fleurs de Houbigant. La tête de Léopold lui en tourna.
– Vous êtes française, mademoiselle? Je ne me souviens pas vous avoir jamais croisée dans Chimay.
– Je suis parisienne, monsieur. Je suis hébergée à Miséricorde où une mienne tante dirige le pensionnat. Je ne suis effectivement ici que depuis peu.
– Vous ne connaissez dès lors pas encore notre belle région, ni Chimay, qui en est le fleuron. Si vous le vouliez…
Avec la brusque audace des timides, et sans mesurer son impertinence, Léopold invita Omphale à découvrir le pays en sa compagnie.
Omphale s’ennuyait un peu à Miséricorde, sans nouvelles de Paris, au milieu des sœurs de Sainte-Chrétienne attachées à leur rosaire telles des chèvres à leur corde, dans ce pensionnat qui résonnait comme un caveau vide depuis que, avec l’été, la plupart des élèves l’avaient déserté. Et même, pour parler comme son père, elle s’embêtait ferme. Aussi ne s’embarrassa-t-elle point de convenances et sauta tout de go sur cette occasion de rompre la monotonie de son exil.
Dès le lendemain, et tous les jours qui suivirent, ils se retrouvèrent au pied du kiosque aux entrelacs métalliques qui dressait son chapeau chinois au centre de la grand-place.
Professeur d’histoire, Léopold connaissait sa ville sur le bout des siècles. Il la raconta pierre par pierre, et il racontait bien. Omphale sut bientôt tout des figures célèbres qui avaient rehaussé de leur prestige la petite cité : du chroniqueur Jehan Froissart qui, ayant reçu un canonicat, s’y retira la cinquantaine venue et y poursuivit la rédaction de ses fameuses Chroniques jusqu’à sa mort, du poète Alexandre Laisnez devenu l’ami de La Fontaine et de Boileau, de madame Tallien, surnommée Notre-Dame de Thermidor aux heures rouges de la période révolutionnaire, qui, ayant épousé en troisièmes noces François-Joseph-Philippe de Riquet, comte de Caraman, devint princesse de Chimay et adjoignit au château un petit théâtre construit sur le modèle de celui Trianon où Cherubini, Fétis, Auber, La Malibran et des comédiens en renom donnèrent la musique et la comédie. […]

Description d’une vente de livres anciens…
[…] Cependant, le jugement quelque peu assoupi, monsieur Edmond pénétra à l’hôtel Drouot ainsi qu’en un jardin anglais, salua les uns, sourit aux autres, gagna la salle numéro 10 d’un pas de promeneur, demanda pardon à droite, fit merci à gauche, et, comme on se placerait au parterre d’un kiosque à musique, s’installa benoîtement sur une chaise « d’amateur », au deuxième rang et au bord de l’allée centrale, au vu et au su des uns et des autres qui, à gauche et à droite, étaient encoignardés aux postes d’affût.
Du jamais vu ! Et cette manière d’être désinvolte ? Monsieur Edmond, jambes croisées ! étouffant de petits bâillements tout en s’éventant de son catalogue ? Du vraiment jamais vu ! […]

VIRELLES, Patrick, Peau de Vélin, roman, Editions Belfond, Paris, 1993. (ISBN 2-7144-3031-7)